JACK GROSS OU L'IMPOSSIBLE APPROBATION

Mais il y a aussi cette histoire, que je trouve très belle et significative, qui est déjà d’un autre siècle et que j’avais dénichée une nuit en zappant hasardeusement sur la télévision câblée (sur une chaîne de documentaire similaire à Arte ou quelque chose comme ça), celle d’un caricaturiste allemand des années 1920 qui s’appelait « Jack Gross » (et dont je n’ai retrouvé aucune trace sur Internet de mes deux par la suite.) L’homme dont il s’agit – un grand artiste burlesque et engagé outre-Rhin – était un dessinateur satirique dans l’esprit de revues subversives telles que « Charlie Hebdo », « Psikopat », « Fluide Glacial » ou « Hara-Kiri » (si tant est que l’on puisse faire une telle comparaison.) Il avait vu beaucoup de choses dérangeantes, délurées et scabreuses jusqu’à un certain âge, avait « consommé » beaucoup de catins, je dois dire, avait vécu d’une façon très décousue malgré une certaine science et des opinions politiques très sûres (sans avoir été un « communiste » pour autant.) Et donc ses sketches si particuliers ne pouvaient qu’exprimer complètement la réalité de ce qu’il avait observé, qui est pauvre, troublante, ridicule, vénale et dénuée d’honneur. Un jour, on l’envoya – assez sévèrement et sommairement – devant un tribunal d’état pour qu’il se justifie d’avoir établi et publié de si acides plaisanteries concernant son époque et l’espèce humaine en général dont Jack Gross avait eu le malheur de grossir les traits. Et, risquant une grave condamnation pour outrage aux bonnes mœurs, Herr Gross ne put lors de ce procès se défendre autrement qu’en disant que toutes ces créations n’étaient que la vérité telle qu’il l’avait vue et grossie, ce qui était vrai. La parodie, le pamphlet, la satire, le pastiche ou la caricature ne servent qu’à imiter et à inverser la réalité pour justement nous montrer cette réalité telle qu’elle est. La fameuse inversion du monde d’après le Marquis de Sade. La plupart du temps, nous essayons tous de relater les choses objectivement, impartialement, mais nous en sommes incapables voire guère désireux, tant ce qu’il y a de plus essentiellement extrême dans la vision de ce réel nous saute aux yeux et paraît tellement plus intéressant que la simple et pure relatation des choses (qui n’a aucun sens non plus.) Les gens de son temps, ni d’ailleurs d’une autre époque, ne pouvaient le comprendre. Quand Jack Gross baisait une prostituée, en fait il ne baisait pas une prostituée…Il ne faisait que désespérément donner son amour à des personnes qui ne lui auront jamais rendu, qui ne le pouvaient point et dont il caricaturait justement ce rapport global à une telle cruauté, à une telle indifférence, à une telle feinte. Alors que tous les autres, passablement et de concert, accomplirent ce vice et se turent.